Dans les critères à développer pour mes enfants, il y avait l’autonomie. C’est un grand mot l’autonomie, il est souvent utilisé dans les livres de
recherche, dans les grilles d’évaluation des éducatrices en CPE, dans les magazines, dans les conseils de psy… Genre partout ! En 2015, c’est devenu un peu une joke. C’est devenu un peu un mot pour bien paraître : «Ah! moi je veux que mon fils soit autonome, c’est pour ça que je lui montre à se brosser les dents seul ! » Le problème, et là, c’est de la psycho-pop-à-5-cents / mon constat de maman depuis 7 ans : avec l’envie de rendre mes enfants autonomes pour la vraie vie, il y a aussi le maternage du parent extrême qui est arrivé il y a quelques années.
La surinformation sur le web mélangée avec les nouvelles en continu font qu’en plus de savoir que Jean-Paul Poitras de la région de la Matawinie était solidement constipé à 18h42 mardi matin, j’apprends aussi les petits-moyens-gros drames dans le temps de le dire. Écouter les nouvelles en continu en ayant un kid, c’est un peu comme quand on écoutait le film Frisson avec Neve Campbell à 12 ans en gardant 3 enfants qui dorment dans le bois. C’était vraiment pas une bonne idée. Parce qu’automatiquement, les images nous roulaient dans la tête pis on se mettait à freaker solide. Quand ma mère était maman de trois jeunes enfants, il y avait les nouvelles du matin, du midi et du soir… Environ 3 fois une heure de diffusion de nouvelles pour te dire ce qui s’était passé dans la région de Montréal, de Québec, dans le monde et dans l’univers. Ce n’était pas beaucoup de temps pour tout montrer, ça nous donnait donc moins de temps pour se faire peur.
Je suis semi-mère-poule, semi-je-ne-veux-pas-être-mère-poule… Souvent, j’arrive devant une situation où je pourrais donner du lousse à mon fils… Pop! une nouvelle me passe par la tête. Et si, et si, et si… S’il fallait qu’il arrive quelque chose… Pis là je choke, je me dit : «une autre fois l’autonomie». En fait, quand je suis assise avec une bande d’amies autour d’une table à jaser, c’est facile parler d’autonomie. On se rappelle qu’en première année on marchait seule jusqu’à l’école… Pis c’était loin pour vrai. La veille de la rentrée mon père avait fait le trajet avec moi jusqu’à l’école en allant cogner chez les gens qu’il connaissait sur la rue. Il disait : «Bonjour Madame Archambault, reconnaissez- vous ma grande Geneviève ? Elle commence la première année cette semaine et je voulais lui montrer que nous vous connaissions. Si elle se blessait, ou qu’elle était inquiète, est-ce qu’elle peut venir cogner chez-vous ? Merci Madame Archambault et bonne journée !». J’avais 6 ans et je m’en souviens encore, j’avais 6 personnes en qui avoir confiance sur le trajet pour me rendre à l’école. Puis, à 8 ans on faisait du porte-à-porte pour vendre du chocolat à des inconnus dans le but de partir en camp de vacances avec les optimistes de L’Épiphanie. À 9 ans, on se faisait des cabanes dans le bois avec des vis. On jouait au cowboy, mon voisin et AMI Pat m’attachait sur une chaise dans le milieu de la cour parce qu’il venait de me holdupper pis que j’étais la caissière du Texas… Aujourd’hui, il serait accusé de séquestration et il passerait en boucle à LCN…. De nos jours, avec tout ce qu’on lit, tout ce qu’on raconte, j’ai l’impression qu’on ne peut plus faire confiance à personne, qu’on doit se méfier de tout le monde et quand tout le monde se méfie de tout le monde, bien la société a mal, elle s’individualise et ça écarte la solidarité, la capacité de créer des liens, de demander de l’aide…
Pourquoi je vous parle de ça ? L’an dernier, dans notre village, il y a eu un reportage de TVA nouvelles sur une possible «tentative d’enlèvement à Crabtree». Denis Thériault s’est présenté dans notre ville en faisant un topo qui relatait les «faits» sur l’individu qui se tenait dans le stationnement du camp de jour… Tout le monde m’écrivait parce que nous habitons à deux rues et que mon fils y va à tous les matins. Le topo a été mis sur Facebook, tous les parents de la ville étaient en panique. TVA a alerté tout le monde via les réseaux sociaux, c’était épouvantable, alors qu’en vérité les «faits» relatés par le journaliste n’étaient pas du tout ce qui s’était passé… C’était avant l’enquête, puis, quelques jours suivants nous avons appris que ce n’était pas ce qui s’était passé, que c’était à la fois un malentendu et une maladresse venant d’un homme du village. L’incident n’avait pas eu lieu dans le stationnement du camp de jour non plus… Bref, la maman avait eu raison d’alerter les policiers, dans son cas j’aurais probablement fait la même chose mais le sensationnalisme des médias a implanté en nous un sentiment de terreur pendant toute une semaine et étrangement, le dénouement n’a pas été exposé sur TVA nouvelles… Genre un titre comme : « Il n’y a finalement pas de rôdeur à Crabtree» ou «L’histoire du rôdeur de Crabtree est un malentendu» aurait été aussi important que la première nouvelle pour les parents de Lanaudière. Encore cette semaine, nous annoncions à des parents qui ne laissaient plus marcher leurs enfants que tout était beau. Les moniteurs du camp de jour ont passé pour des incompétents alors qu’ils sont géniaux et que l’incident était arrivé à 3 rues de là… C’était le jour du triste anniversaire de l’enlèvement de Cédrika, ça brassait beaucoup d’émotions pour tout le monde, c’était une grosse journée pour les mamans du Québec…
C’est difficile de laisser de l’autonomie à son enfant quand on a l’impression que le danger est partout, mon grand a 7 ans et il n’est pas sur le bord de partir dans le bois faire une cabane avec des vis et des clous… Je travaille fort sur moi-même pour lui donner du lousse, essayer de me faire confiance, de faire confiance en la société pour que le petit puisse marcher jusqu’à l’école sans moi avant le cégep. Un matin, en arrivant devant le camp de jour, il pleuvait des cordes, j’ai dit «Eh boy, ça me tente pas de sortir ton frère». Il m’a dit : « Maman, je peux entrer et rejoindre mon groupe tout seul, la porte est juste là ! ». J’ai répondu : «Je suis pas rendue là comme…», il m’a dit : «Mais moi oui je suis rendu là maman !» SLAP! Claque de la vie dans ma face, je l’ai laissé sortir et marcher jusqu’à la porte, d’autres enfants l’ont ouvert, il est entré au camp. J’ai lâché prise, je ne l’ai pas abandonné mon bébé même si je voyais plus rien à cause de l’eau qui montait dans mes yeux, je lui ai ouvert une porte vers l’autonomie, il marchait les épaules hautes, l’allure tellement fière ! Ce matin, c’était un petit pas vers sa vie de grand parce que le temps passe vite et qu’il va être grand dans deux minutes, mon cerveau doit commencer à le préparer, à me préparer…